Tigre à dents de sabre : pourquoi a-t-il disparu ?
Tigre à dents de sabre : quel est son lien avec le chat domestique ?

Le tigre à dents de sabre a-t-il des descendants ? Pourquoi n’existe-t-il plus ?

Depuis 2002, c’est un certain Diego qui l’a rendu à la fois célèbre et extrêmement populaire. Venu du fond des âges, il a été ressuscité par le cinéma d’animation aux yeux du grand public. On l’appelle Tigre à dents de sabre, ou plus précisément smilodon. Avec ses crocs surdimensionnés, il nous ferait presque oublié le T-Rex ou autre vélociraptor tant il nous fascine. C’est peut-être parce qu’en tant que félin, il nous semble plus proche de nous, tout en étant un témoignage d’un passé lointain.

Mais qui est-il vraiment ? Un ancêtre de notre tigre actuel ou même de notre chat domestique ? A-t-il vraiment rencontré des être humains comme nous le montre le film “l’âge de glace” ? Et pourquoi a -t-il disparu ?

Alors, c’est parti, je vous emmène dans l’histoire de l’évolution pour découvrir les lignées de félins et l’épopée du Tigre à dents de sabre.

Points de repère chronologique

Avant d’enquêter sur le tigre à dents de sabre, il est important de rappeler quelques repères chronologiques essentiels, ne serait-ce que pour situer le règne des dinosaures par rapport à celui des félins. En particulier, il faut se souvenir qu’il y a eu une extinction massive des dinosaures à la fin du Crétacé, très probablement liée à la chute sur terre d’un astéroïde (péninsule du Yucatan au Mexique).

Sans la disparition de ces animaux gigantesques, il est probable que notre faune actuelle n’aurait jamais vu le jour. C’est ainsi que les carnivores ont pu apparaitre et commencer à prospérer il y a 66 millions d’années.

L’infographie ci-dessous reprend quelques grandes dates de l’évolution pour rappeler ces grands évènements.

Quand sont apparus les félins ?

Proailurus : premier félin de l’histoire !

Recherche des lignées et classification

Pour mieux comprendre le monde du vivant, il est indispensable d’établir des classifications. Nées de l’observation des différentes espèces, on cherche ensuite à regrouper les animaux selon leurs ressemblances dans des familles de plus en plus précises. On considère que le père de la classification, ce qu’on appelle la taxonomie, est Carl Von Linné, un naturaliste du 18ème siècle (voir races de chat).

Au fil des années, avec les progrès de la science et en particulier de la génétique, ces classifications ont pu être considérablement améliorées.

En ce qui concerne la branche des félins, de nombreuses corrections ont été apportées car il faut parfois se méfier de simples ressemblances physiques. Seules les comparaisons d’ADN permettent alors de placer un félin dans la bonne lignée. Elles ont permis aussi de remonter toujours plus loin dans le temps.

On a donc retrouvé l’ancêtre commun de tous les félins : il s’agit de l’espèce Proailurus, du grec ancien pro (avant) et ailurus (chat). Il est considéré par beaucoup comme le tout premier félin. A noter toutefois que certains scientifiques le placent en dehors de la famille des félidés. Mais il reste pour tous l’ancêtre commun.

Proailurus a vécu en Eurasie entre 30 et environ 20 millions d’années, jusqu’au début du miocène. Et on en a même retrouvé des fossiles en France.

Proailurus : ancêtre de tous les félins
Représentation possible de Proailurus à partir des données disponibles et l’aide de l’IA

A quoi ressemblait Proailurus ?

D’après les fossiles qu’on a retrouvé, Proailurus devait davantage faire penser à une genette ou à une civette (famille des viverridés) qu’à un félin.

Il avait en général la taille d’un chat domestique ou d’une genette mais certains (comme le Proailurus lemanensis) pouvait aller jusqu’à 10 kg, il avait un corps assez allongé, des pattes avant relativement plus courtes pour grimper aux arbres, une longue queue et des grands yeux. Il est difficile par contre d’en savoir plus sur la couleur et le marquage de son pelage.

Proailurus avait essentiellement un style de vie arboricole comme les viverridés. Pas étonnant alors qu’il leur ressemblait !

Les félins des origines à nos jours – La branche des tigres à dents de sabre

Les descendants de Proailurus ont vu leurs pattes s’allonger, ce qui leur a permis d’abandonner le style de vie arboricole en étant plus performants à la course. A partir de là, la lignée des félins se séparent en 3 familles bien distinctes :

L’infographie suivante présente cette scission et classe dans la famille adéquate la plupart des félins d’aujourd’hui (colonnes vertes), par ordre d’apparition.

Infographie : évolution des félins des origines jusqu'au chat en passant par le tigre à dents de sabre

L’autre objectif de cette infographie est de visualiser clairement la 3ème famille de félins (Machairodontinae), représentée ici en rouge car totalement éteinte.

Cette 3ème famille, c’est celle du tigre à dents de sabre qui, si vous aviez encore un petit doute, n’existe plus du tout.

Qui est le tigre à dents de sabre ?

En fait, il y en avait de nombreuses espèces. Mais une en particulier est devenue plus célèbre que les autres : le Smilodon. C’est bien lui qu’on retrouve dans le film l’âge de glace sous le nom de Diego. Mais c’est aussi le plus récent. Imaginez un peu, il était encore là il y a 11 000 ans ! Sur l’échelle de l’évolution qui préfère plutôt s’exprimer en millions d’années, c’est ultra proche de nous.

Mais qui sont les autres tigres à dents de sabre ?

La famille Machairodontinae

Pour commencer, l’appellation “tigre à dents de sabre” n’est vraiment pas adaptée. En version anglaise, ça donne “saber-toothed cats” (chats à dents de sabre) et ce n’est pas mieux. Car en vérité les félins de cette famille ne sont ni des tigres, ni des chats.

Comme indiqué sur l’infographie, on sait aujourd’hui que la bifurcation avec les Panthérinés et les petits félins, à partir de Proailurus leur ancêtre commun, a eu lieu très tôt, il y a au moins 15 millions d’années.

En clair, cela signifie que génétiquement, un tigre moderne ou un chat domestique sont vraiment très éloignés des tigres à dents de sabre !

Cependant, on continue à les appeler communément Tigres à dents de sabre. Parce que Machairodontinae, leur véritable nom, n’est pas un terme très fun, ni très facile à retenir !

On considère que cette famille peut être diviser en 4 sous-familles selon leur ordre d’apparition et leurs caractéristiques physiques :

  • Metailurini
  • Smilodontini (dont est issue le Smilodon)
  • Homotherini
  • Machairodontini

Les tigres à dents de sabre se sont répartis dans de nombreuses parties du monde car ils pouvaient s’adapter à beaucoup d’écosystèmes différents, aussi bien chauds que froids.

On les retrouve en particulier en :

  • Eurasie
  • Amérique du Nord et du Sud
  • Afrique
Représentation du Tigre à dents de sabre
Représentation du Tigre à dents de sabre (Machairodontinae)

Les Machairodontinae ou Tigres à dents de sabre étaient-ils des géants ?

Ils étaient loin d’avoir tous la même taille et il ne faudrait pas réduire cette famille au seul Smilodon.

Car les anciens Machairodontinae, comme par exemple ceux de la famille des Metailurini, étaient plus petits. En fait, ils pesaient entre 30 et 50 kg. Là, on est plus proches de la taille d’un grand Lynx.

Un peu plus tard, la famille des Smilodontini a donné 2 lignées fort différentes. La plus ancienne était de petite taille comme les Metailurini (environ 50 kg) et vivait en Eurasie. Mais la seconde lignée, plus récente, a donné naissance à des félins beaucoup plus grands. Avec d’abord le Megantereon qui atteignait le poids de 120 kg. Puis le célèbre Smilodon avec un poids qui pouvait avoisiner 400 kg pour certaines espèces (Smilodon populator).

En fait, le Smilodon est le plus grand des tigres à dents de sabre.

Et il avait d’autres particularités qui le différencient clairement d’un félin moderne :

  • Corps beaucoup plus imposant
  • Des pattes avant très massives, supportées par des os extraordinairement robustes
  • Pattes arrière un peu plus courtes
  • Un cou plus allongé et très musclé
  • Museau saillant et grande tête
  • Une queue très courte (à peu près comme celle d’un Lynx)

Des félins avec de grandes dents

Et puis bien sûr, les tigres à dents de sabre sont connus pour avoir des canines très développées.

Cependant, tout comme pour leur taille, ils ne battaient pas tous des records. Et au risque de briser un mythe, la plupart des nombreuses espèces de la famille Machairodontinae avaient plutôt des canines dont la taille approchait davantage de celle de nos félins actuels. Mais elles étaient tout de même redoutables !

Pour d’autres, comme chez le Megantereon et le Smilodon populator, on atteignait des records. Les crocs d’un Smilodon pouvaient faire la longueur impressionnante de 20 cm !

Chez l’Homotherium, les canines avaient une taille intermédiaire : nettement plus longues que celles d’un félin moderne, mais plus courtes que celles d’un Smilodon populator. Par contre, elles étaient plus solides…

Crane fossilisé d'un Smilodon et d'un Homotherium
A gauche : Crâne fossilisé d’un Smilodon. A droite : l’Homotherium (Ghedo, Public domain, via Wikimedia Commons)

Mais comment manger avec des crocs pareils ?

Les crocs du Smilodon, avec une telle longueur, dépassaient largement de la gueule et pouvaient même descendre plus bas que le menton. Si vous mettiez les mêmes sur un lion ou un tigre, il ne serait plus capable de chasser ou même de se nourrir pour la simple et bonne raison qu’il serait incapable de mordre sa proie. Un peu encombrantes les canines… Mais alors, comment faisait le Smilodon ?

Des spécialistes se sont penchées sur la question en étudiant très soigneusement les crânes fossilisés de tigre à dents de sabre. Il ressort de ces études que leurs mâchoires ne s’articulaient pas de la même manière que pour les autres félins : ils pouvaient ouvrir la bouche avec une ouverture énorme.

Pour se faire une idée, un félin comme un lion ouvre la gueule avec un angle autour de 66°. De nos jours, seule la panthère nébuleuse (qui a de plus grandes canines) fait mieux avec une ouverture de presque 90°. C’est à dire que ses 2 mâchoires forment alors un angle droit. Avec ses canines géantes, le Smilodon ajoute 30° et atteint 120° d’ouverture ! Voilà qui devait être très impressionnant…

Mais le revers de la médaille, c’est que la force de leur morsure est bien plus faible que celle d’un lion par exemple. Les tigres a dents de sabre compensaient la relative faiblesse de leurs mâchoires avec une grande force musculaire au niveau du cou et de la solidité de leurs vertèbres cervicales. De plus, leurs techniques de chasse étaient clairement adaptées à leur morphologie. Par exemple, une étude récente a montré qu’ils adoptaient vraisemblablement une technique du nom de “bulldogging” qui consiste à tordre le cou de la proie pour la faire tomber et l’immobiliser.

En fait la physionomie et les canines hors normes du tigre à dents de sabre comme le Smilodon lui permettait d’attaquer des proies de très grandes tailles.

Pourquoi le tigre à dents de sabre a disparu ?

Le Tigre à dents de sabre, et en particulier le Smilodon, n’a disparu qu’il y a 11 000 ans alors que l’homme moderne était déjà bien implanté. De plus, il était présent sur quasiment tous les continents. Comment a-t-il disparu ? Pourquoi ne reste-t-il plus aucun descendant de la grande famille des Machairodontinae ? Avec eux, c’est toute une branche de l’arbre généalogique des félins qui s’en est allée.

La mégafaune du Pléistocène

Le tigre à dents de sabre n’est pas le seul à avoir disparu. En fait, c’est une grande partie de la mégafaune qui s’est éteinte à cette époque (entre 50 à 70%) . Comme son nom l’indique, la mégafaune est constituée des plus gros animaux. En général, ils ont une plus grande longévité et un développement plus lent. Ils sont mieux adaptés à des environnements stables.

Représentation d'un paresseux géant
Représentation du paresseux géant – Marcus Burkhardt, CC BY 3.0, via Wikimedia Commons

On y retrouve bien sûr nos Tigres à dents de sabre mais aussi des mammouths, des mastodontes, des Cervalces scotti (élan géant d’environ 700 kg), des paresseux géants (on parle de la taille d’un éléphant) ou des loups Canis dirus. Et puis aussi un autre félin : le Lion américain (Panthera atrox). Éteint à la même période que le Smilodon, il ressemble beaucoup plus au lion actuel sans en être l’ancêtre direct. Mais lui appartient bien à la même lignée Panthera. C’est un très grand félin qui pèse entre 235 et 520 kg. Il a donc un gabarit voisin du Smilodon, mais sans les crocs de 25 cm !

A gauche : squelette fossilisé d'un Smilodon. A droite : le Lion américain
A gauche : squelette fossilisé d’un Smilodon. A droite : le Lion américain (Musée de La Bréa Tar Pits) – Joe Mabel, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Or, on a constaté que la plupart des grands animaux du Pléistocène ont disparu brutalement à la fin de cette période, il y a environ 11 000 ans, après avoir vécu des millions d’années.

De plus, il faut bien comprendre que les Tigres à dents de sabre, et en particulier le Smilodon, chassaient précisément des herbivores de la mégafaune. Comme par exemple l’élan géant, le paresseux terrestre ou des bisons primitifs. La disparition de ces derniers a précipité la fin des autres.

Extinction de la mégafaune

La première raison avancée de cette extinction massive est sans doute d’ordre climatique. En effet, le Pléistocène connait une série d’importantes variations de températures causées par plusieurs cycles glaciaires. A la fin de cette période, de nombreuses terres sont asséchées déclenchant la disparition des grands herbivores et donc de leurs prédateurs.

Les félins de plus petites tailles, ceux que nous connaissons aujourd’hui, se sont mieux adaptés à ces grands changements d’environnement et ont pu survivre.

Mais est-ce la seule explication ? La disparition des tigres à dents de sabre et autres grands animaux préhistoriques reste une source de questionnements. Et tout récemment, de nouvelles études sur le site de La Brea Tar Pits ont apporté un éclairage nouveau.

La Brea Tar Pits : la mine d’or des paléontologues

La Brea Tar Pits, reconstitution d'une scène
Reconstitution d’une scène à La Brea Tar Pits – Par Buchanan-Hermit via Wikimedia Commons

La Brea Tar Pits (en français : fosses de goudron de La Brea) est un site de gisement de fossiles présents en très grandes quantités (des millions). Il se trouve au coeur de Los Angeles au États-Unis et depuis le début du 20ème siècle, il est une source inépuisable de découvertes sur la faune préhistorique dans une période comprise entre il y a 50 000 et 13 000 ans.

En fait, ce site est constitué d’un grand nombre de fosses à bitumes qui étaient de véritables pièges pour les animaux de l’époque. Attirés par la surface liquide qu’ils prenaient pour de l’eau, ils se retrouvaient englués dans les mares d’asphalte et mourraient sur place. Or, il s’agit d’une substance qui permet une fossilisation de très grande qualité, rendant même possible une datation précise des ossements.

La Brea Tar Pits constitue donc une formidable opportunité d’étudier la faune de la fin de Pléistocène. On y a retrouvé par exemple pas moins de 2000 tigres à dents de sabre !

A l’été 2023, une équipe de scientifique a publié des résultats montrant que les paresseux terrestres et les ancêtres des chameaux ont disparu les premiers il y a environ 13 600 ans. Puis, ce fut le tour des autres herbivores de la mégafaune et enfin, des carnivores. Le tout en moins de 600 ans. L’équipe a ensuite poursuivi ses recherches à une centaine kilomètres de là, au lac Elsinore. Grâce aux échantillons prélevés au fond du lac, ils ont découvert une très importante accumulation de charbon datant de 13 000 ans. Cela indique qu’il y a eu à cette époque d’incessantes vagues d’incendies gigantesques.

Or, en Amérique du Nord de l’époque, la population humaine était en plein essor et, disposant du feu, a sans doute causé de nombreux incendies. Elle devait probablement aussi être un sérieux concurrent du Tigre à dents de sabre dans la chasse des herbivores.

Des raisons multiples à l’extinction du tigre à dents de sabre

Faut-il en conclure pour autant que l’homme était, déjà à cette époque, le seul responsable d’une extinction massive de la mégafaune ? Il faut rester prudent dans les conclusions.

D’une part, cette étude ne concerne qu’une seule région du globe. On ne pourrait généraliser ces conclusions.

D’autre part, le climat était en plein changement et, à la fin du Pléistocène, il était devenu chaud et sec après la dernière glaciation, transformant radicalement la végétation qui s’est raréfiée.

A l’heure actuelle, on peut dire qu’il semble que l’homme a sans doute contribué à cette extinction en Amérique du Nord en provoquant de multiples incendies dans une végétation déjà desséchée. Mais il ne peut être le seul responsable dans ce qui semble être une série d’évènements catastrophiques pour les félins de grande taille.

Bien entendu, tout cela fait écho aux problèmes actuels du réchauffement climatique qui pourrait bien nous précipiter dans une période de grands changements tout autant dévastateurs.

Conclusion : quel lien entre le tigre à dents de sabre et le chat domestique ?

A travers cet article, j’ai retracé l’histoire de l’évolution du Tigre à dents de sabre. Ainsi, loin de se résumer au seul Smilodon, il constitue la 3ème grande famille des félins nommée Machairodontinae, à côté des grands félins (Panthérinés) et des petits félins (Félinés) que nous connaissons actuellement. Cependant, même s’ils ont tous un ancêtre commun, le Proailurus, la divergence entre les 3 branches félines s’est effectuée très tôt dans l’histoire de l’évolution. Il n’est donc ni l’ancêtre du chat, ni du tigre, ni d’aucun des félins que nous connaissons aujourd’hui.

Les Tigres à dents de sabres se sont complètements éteints il y a 11 000 ans. Mais ils nous ont laissé des fossiles qui sont autant de témoignages d’un lointain passé qui conserve encore bien des mystères !

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