Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’à travers l’histoire, les chats ne laissent personne indifférents. Ils traversent les siècles avec leur grâce toute féline en imprégnant fortement la culture qui les entoure. La musique ne fait pas exception et les compositeurs n’ont pas hésité à s’inspirer de nos quadrupèdes préférés pour créer des œuvres particulièrement originales.
Plus récemment, on s’est intéressé au phénomène inverse : la musique agit-elle sur les chats ? Y sont-ils réceptifs ? Il faut dire que depuis qu’on a enfin compris que les animaux étaient dotés de sensibilité tout comme nous, on se passionne toujours plus pour leur comportement.
Ce que je vous propose aujourd’hui, c’est un double voyage musical. Dans la tête de nos petits félins pour mieux comprendre ce qu’y se passe entre leurs deux oreilles. Puis dans celle des compositeurs inspirés par eux. Et vous allez voir qu’il y a beaucoup à en dire…
Sommaire
- 1 Les chats aiment-ils la musique ?
- 2 Quand les chats deviennent source d’inspiration
Les chats aiment-ils la musique ?
Si vous pratiquez d’un instrument de musique et que vous avez des chats, vous avez sûrement eu l’occasion d’observer leurs réactions…ou au contraire l’absence de réactions. Et c’est la même chose quand on diffuse une ambiance musicale chez soi.
Parfois, ils semblent apprécier. Ils sont alors apaisés, voire tout ronronnants. Mais d’autres fois, c’est le contraire et ils préfèrent s’éloigner avec des grands airs offusqués. Il parait évident que leurs réactions dépendent directement de ce qu’on a bien voulu leur faire écouter. A 1ère vue, ils ne sont pas trop amateurs des musiques trop fortes et trop rythmés. Ne parlons même pas de Hard Rock ou de Métal qui risquent fort de provoquer une vive indignation de leur part !
L’ouïe, un sens primordial chez le chat
Face à sa capacité d’entendre des fréquences de 50Hz à plus de 60 000 Hz, nous faisons figure de petits joueurs. Si nous pouvons largement rivaliser pour les sons graves (l’oreille humaine peut percevoir des sons à partir de 20 Hz), c’est une autre histoire pour les aigus car nous ne percevons plus les sons au-delà de 20 000 Hz. Notre champ auditif est donc considérablement plus restreint que celui de nos compagnons à moustaches. Pas étonnant dès lors qu’ils ont des réactions un peu surprenantes quand on leur impose des styles musicaux trop agressifs puisqu’ils perçoivent bien plus de sons que nous.
De manière générale, on peut dire que les chats détestent les ambiances sonores trop fortes et le brouhaha. Leur préférence ira donc vers des musiques plus douces.
Qu’en est-il du rythme ?
Les êtres humains sont, en majorité, naturellement attirés par les musiques rythmés. Ceci est une préférence naturelle et intuitive.
Elle provient du fait que le fœtus humain commence à développer son audition entre 5 et 6 mois de grossesse. Parmi tous les sons qu’il peut entendre, il y en a un qui ne le quittera plus jusqu’à la naissance : celui du pouls de sa mère. Une pulsation régulière et constante qui nous a tous accompagné durant nos derniers mois de vie in utero. C’est la principale raison qui explique notre attirance vers les musiques rythmées. Comme un rappel de notre tout premier environnement empreint de douceur et de sécurité.
Pour les chatons, la réalité est bien différente. A la naissance, ils sont totalement sourds et aveugles. Sans compter que leur cerveau est encore très peu développé. Ils ne commenceront à entendre des sons qu’à partir d’environ 14 jours. Conséquence directe : les chats n’ont aucune sensibilité à tout ce qui peut ressembler à la pulsation maternelle.
Ronronnements et bruits de tétées
Quels seront donc les premiers sons que vont entendre ces adorables petits chatons ? Et bien le doux ronronnement de leur mère, quasi toujours présent pendant les tétées, mais aussi tous les petits bruits qu’ils font quand ils boivent goulûment. Voilà donc leur premier environnement sonore particulièrement apaisant. Ce n’est pas pour rien qu’à l’âge adulte, bon nombre de nos chats domestiques continuent à patouner joyeusement sur notre ventre ou sur un coussin tout doux. Car cela leur rappelle instinctivement cette période de grand bien-être.
Bref, si vous voulez faire plaisir à votre chat, oubliez les styles pop, rock, R&B ou jazz et tout ce qui produit des rythmes un peu trop marqués.
Alors, apprécieront-ils davantage la musique classique de Mozart ou de Bach ?
Musique pour chat
Beaucoup de fausses idées ont circulé sur les goûts musicaux de nos petits félins. Si les musiques trop fortes ou trop rythmées sont d’office à écarter, ce n’est pas pour autant qu’ils vont apprécier toutes les musiques dites classiques. Celles-ci peuvent très bien les laisser indifférents, voire leur déplaire si elles sont trop brutales !
Cependant, des études ont été réalisées pour mieux comprendre la façon dont les chats ressentent la musique.
Le psychologue Charles Snowdon a par exemple “étudié les vocalisations naturelles des chats pour faire correspondre notre musique à la même hauteur de fréquence. Cela correspond à une octave ou plus au-dessus de la voix humaine“. Et il semblerait que les chats apprécient de ce fait davantage les notes longues et glissantes. De la même façon, ils réagiront positivement aux sons se rapprochant, dans un registre grave, de leur ronronnement.
Conclusion : quelle musique pour nos chats ?
Ainsi, vous pouvez donc pour des musiques de relaxation. Ce sont elles qui se rapprocheront le plus de ce qu’ils préfèrent : un niveau sonore doux, des notes longues et glissantes, des hauteurs de sons variés. Vous trouverez de nombreuses playlists sur Internet. Et puis bien sûr, dans le répertoire de musique classique, vous pourrez également trouver votre bonheur en privilégiant les mouvements lents des oeuvres pour cordes. Par exemple, le largo du Concerto pour 2 violons en ré mineur BWV 1043 de J.S Bach est une pure merveille pour nos oreilles et il pourrait bien plaire à celles de vos matous.
Pensez également au violoncelle dont la large tessiture est la plus proche de la voix humaine. Avec ses graves au timbre chaud et ses aigüs chantants, moins éclatants que ceux du violon, il pourrait bien séduire grand nombre de chats ! Avec par exemple les 6 suites de J.S Bach pour violoncelle seul (monument du répertoire de cet instrument !) ou bien le largo du concerto en Ut mineur de Jean-Chrétien Bach.
Dans tous les cas, n’oublions pas que nos chats ressentent surtout très fortement nos émotions. Alors même si votre musique n’est pas 100% féline compatible mais qu’elle vous apporte bien-être et détente, votre chat ne pourra qu’apprécier ce moment…
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Quand les chats deviennent source d’inspiration
Alors oui, les chats aiment la musique pourvu qu’elle corresponde à leur sensibilité particulière. Mais ce qui est sûr, c’est que notre musique adore les chats. Et les musiciens ne se sont pas privés de s’en inspirer. Mais ce qui est amusant, c’est de regarder comment ils ont fait et de quelles manières ils se sont servis de leurs muses.
Passons sur cette triste période (fin du Moyen-Âge) où des orgues à chats avaient été imaginés : ils étaient placés en parallèle dans des compartiments fermés et chaque touche appuyée tirait la queue d’un chat ou le piquait afin d’obtenir un miaulement… Au moins, pouvons-nous constater que l’humanité a quelque peu évolué et que de tels pratiques seraient aujourd’hui inconcevables dans nos contrées !
Bref, voyons quelles idées ont eu les compositeurs pour rendre hommage à nos petits félins…
Miaulements : le miaou félin dans tous ses états
Bien entendu, quand on parle de chat et musique on pense assez naturellement au miaulement. Pour qui connaît bien son compagnon à moustaches, il existe une quantité incroyable de miaulements exprimant toute une gamme d’émotions, qu’elles soient positives ou négatives : douleur, satisfaction, peur, faim, demande de câlins… En chant, la tentation était bien grande d’utiliser ce mi-a-ou de bien des façons puisqu’il s’intègre à merveille dans toute sortes de vocalises.
Duo des chats
Commençons avec cet exemple amusant : «Duo bouffe de 2 chats», faussement attribué à Rossini, en fait de G. Berthold (pour soprano, mezzo-soprano et piano). Comme le nom l’indique, il s’agit ici d’une bouffonnerie et l’utilisation du miaulement est purement comique. Trois parties dans ce duo pour exploiter plusieurs facettes du « miaou » :
Tout d’abord, des miaous plaintifs entre les chanteuses. Est-ce là des miaous de dépit entre chats en «léger froid » ou des miaous de supplications entre un Monsieur chat amoureux et une Demoiselle chatte bien languissante ? L’appréciation sera laissée à chacun ! Puis, après quelques « crachements » tout félins, le rythme s’accélère. Le miaou se fait plus léger et frétillant. Tout cela débouche alors sur la dernière partie : un festival de vocalises miauliques ! Nos 2 chats sont cette fois sans conteste tout à fait ravis. Une véritable jubilation pour une chanteuse. Et ce duo se termine ainsi dans un débordement de joyeux miaulements.
« L’enfant et les sortilèges » : l’apogée du miaou musical selon Ravel et Colette
Dans l’opéra «l’enfant et les sortilèges » de Ravel, le fameux miaulement n’est plus du tout traité avec l’esprit bouffon et blagueur du duo précédent.
Déjà, rappelons que le livret est de Colette. Tous les amoureux des chats connaissent bien sûr son attachement pour cet animal et en particulier pour les chartreux. Mais résumons brièvement le sujet de cet opéra, qui est en fait une fantaisie lyrique :
L’action se déroule dans la chambre d’un enfant d’une vieille maison normande. L’enfant paresse devant ses devoirs. C’est alors que la maman arrive et le gronde. Resté seul, l’enfant perd patience et pique une crise de colère pendant laquelle il se met à détruire les objets de la pièce (tasses, théière, horloge…), malmenant le chat, déchirant livres et cahiers. Débutent alors les sortilèges : objets et meubles s’animent subitement dans le but de se venger et de se moquer de l’enfant.
Colette et le lexique du chat
Au moment où l’enfant, prenant conscience de ses actes, s’effondre, un chat surgit du dessous du fauteuil, baille et se lèche. Puis il se dirige vers la fenêtre à la rencontre d’une chatte blanche. Il s’ensuit alors le célèbre duo d’amour des chats, un parfait et magnifique exemple de musique imitative. Pas une parole n’est prononcée : seuls des « Mi-in-hou » et autres « Mornaou, nâou, Moâau…», syllabes choisies par Colette pour représenter le langage chat. Mais attention, pas question pour les chanteurs de prendre de la liberté quant à la musique, car Ravel a placé sous chaque syllabe des notes exactes, précisant sur la partition « avec émission nasale » pour renforcer le réalisme de l’effet. Et au final, l’imitation voulue à la fois par Ravel et Colette du miaulement est étonnante de vérité. Elle montre en passant que le « miaou » est bien plus complexe qu’il n’y paraissait au départ et qu’il aura fallu les talents conjugués de ces deux grandes personnalités pour parvenir à ce surprenant résultat.
Si vous en avez l’occasion, n’hésitez pas à vous plonger dans cette œuvre fantasque et originale. Cet opéra est d’autre part relativement peu joué pour des questions de difficultés de mise en scène.
Voici un extrait du duo décrit ci-dessus :
Chats et instruments de musique
Curieusement, ce n’est que très tardivement semble-t-il (début 20ème ), qu’on a eu l’idée d’utiliser un instrument de musique précis pour représenter et caractériser un animal.
En ce qui concerne le chat, il apparaîtrait que ce soit le timbre de la clarinette qui ait remporté l’adhésion des compositeurs.
Pierre et le loup
L’exemple le plus connu dans ce domaine est sans doute « Pierre et le loup» de Prokofiev.
Ce court extrait vous semble-t-il familier ?
Il s’agit là du thème principal de l’oeuvre.
“Pierre et le loup” a connu dès sa création un immense succès dans le monde entier. Succès mérité car même si ce conte musical a été composé au départ pour un jeune public, il n’en contient pas moins de nombreuses richesses. Partition raffinée où se côtoient un certain classicisme (thème de Pierre) et langage moderne (parfois même polytonal). Chacun des thèmes sont parfaitement définis et peuvent se superposer de manière très habile, ne gênant jamais le suivi de l’histoire.
A chaque animal son instrument de musique
Le principe est simple : chaque protagoniste est représenté par un (ou plusieurs ) instrument(s) :
- l’oiseau par la flûte
- le canard par le hautbois
- le loup par 3 cors d’harmonie
- Pierre, par le quatuor à cordes (extrait ci-dessus !)
- Et bien sûr, le chat par la clarinette, dans son registre grave :
Mais il n’est pas très glorieux notre chat dans cette histoire ! Il apparaît sournois, « rampant dans les hautes herbes ». Son seul but : croquer un bien mignon petit oiseau perché en haut de l’arbre. Mais voilà que survient le loup et la clarinette s’emballe. C’est que le chat, perdant un peu de sa superbe, s’est réfugié en haut de l’arbre, … à quelques branches de l’oiseau tout de même ! Il n’en bougera plus, devenant simple spectateur.
Mais, écoutez plutôt sa fuite et ce qu’est devenu le thème de la clarinette…
Ok, notre chat n’est pas mis très en valeur ici et on se moque un peu de lui.
Mais ce n’est pas lui le méchant de l’histoire car c’est bien le loup. Ironiquement, c’est l’oiseau qui aidera Pierre à le capturer en détournant son attention. Notre chat est bien trop malin pour prendre des risques ! Il ne nous a bien sûr pas échappé que toute l’œuvre porte la marque de l’humour caractéristique de Prokofiev. D’ailleurs, traditionnellement, la «musique de chat» revêt souvent un caractère comique.
Les berceuses du chat de Stravinski
Comme il faut bien des exceptions à toutes règles, voici un autre exemple, moins connu, avec les « Berceuses du chat » de Stravinsky. Il s’agit d’une suite de 4 petites mélodies pour mezzo-soprano (la mère) et 3 clarinettes (l’enfant, la chatte et les chatons). Encore une fois, ce sera donc cet instrument qui représentera le chat.
Mais oublié le comique de notre félidé un peu poltron de «Pierre et le loup ». Ici, il prend un caractère d’une douillette intimité. Et nous retrouvons notre chat de maison, comme nous le connaissons bien, parfois tendre, parfois malicieux, omniprésent mais jamais envahissant.
Voici un court extrait de la 4ème et dernière berceuse (chantée en russe) :
Chats se baladant sur un clavier…
Dans tout ce qui précède, nous avons donc vu que les compositeurs s’étaient amuser à exploiter le miaulement, ou bien avait associé la chat au timbre de la clarinette. Peut-être penserez-vous que la représentation musicale du chat s’arrête là ? Eh bien, pas du tout ! Certains musiciens se sont tout simplement substitués au chat en imaginant ce qui se passerait si on le laissait se promener sur un clavier de piano ou clavecin. Et voilà notre chat investi de dons de composition musicale. Peu d’animaux peuvent se flatter qu’on puisse leur prêter un tel talent !
Et cette idée originale ne date pas d’hier…
Fugue du chat
Car Domenico Scarlatti (1685-1757) semble avoir eu cette idée en écrivant sa célèbre «fugue du chat ». Il se serait inspiré de son chat prénommé Pulcinella qui apparemment aimait beaucoup se promener sur le clavier de son clavecin.
Mais pour être tout à fait honnête, le surnom de cette fugue aurait été donné par Clementi (vers 1830) car le thème est suffisamment «curieux » pour qu’on pense que les notes ont été «données» par un chat marchant aléatoirement sur les touches. Scarlatti lui-même ne l’a jamais baptisée ainsi.
Il faut savoir que cette « Fugue de chat » (K 30) est le dernier et l’apogée des 30 essercizi pour clavecin, de difficultés croissantes. La préface par Scarlatti lui-même insiste sur le caractère de divertissement qu’a voulu l’auteur :
« Ne cherche pas dans ces compositions une érudition profonde, mais plutôt un jeu ingénieux avec l’art …»
Mais écoutez plutôt une interprétation de cette fugue (issue d’un format midi), et en particulier ces 6 premières notes qu’on retrouve ensuite tout au long de la partition. Humm, je crois bien que mes chats ont déjà joué quelque chose d’approchant sur le piano 😉
Kitten on the keys
Plus proche de nous, Zez Confrey, un compositeur américain s’est amusé à observer le jeune chat de sa grand-mère qui gambadait sur le clavier du piano. C’était en 1921 et sa pièce pour piano solo “Kitten on the keys” est devenu l’un des 2 plus gros succès de sa carrière !
Pour écouter un extrait de « Kitten on the keys » :
Quand les chats s’invitent dans le jazz
“Kitten on the keys” nous a conduit directement dans le monde du jazz. Et cela tombe bien car impossible de finir cet article sans parler de l’incursion des chats dans le jazz !
Pour commencer, dans l’argot du jazz, un “Cat” est un musicien ou un grand amateur de jazz. Du coup, si vous entendez un américain dire “Dig the way this cat is blowing !“, vous saurez qu’on est sûrement en train de parler d’un génial trompettiste de jazz… Parce qu’il n’y a que dans les aristochats que le trompettiste est bien un chat 😉
Admirez en passant le superbe jeu de mot sur le nom du chat trompettiste et chef de bande “Scat Cat”. Le “Scat” étant en jazz une forme d’improvisation vocale.
Mais pourquoi les jazzmen aiment-ils autant les chats ? Peut-être est-ce du à leur attitude nonchalante ? Ou à leur tendance naturelle à ne faire que ce qu’ils veulent ?
Toujours est-il qu’on les retrouve un peu partout. Que ce soit en photo sur les pochettes des albums ou carrément dans les titres.
Quant à moi, j’espère que cet article vous a intéressé (n’hésitez pas à me mettre un petit mot en commentaire juste en dessous). Et je vous propose de finir en musique bien sûr avec un extrait du “Catwalk” de Don Grusin, sorti en 1990 (Album Raven).
Enregistrement issu d’un format MIDI. Pour écouter la version originale, cliquez ici