Le chat en Egypte antique : la vérité sur le culte de Bastet
Le chat en Egypte antique, histoire et momifications

Le chat en Egypte antique, histoire et momifications

C’était en 1993.
J’étais en voyage en Egypte et pas question de repartir du Caire sans passer par son célébrissime musée.

Ce jour là, faute de climatisation, la chaleur était oppressante. Alors que sur le plateau de Gizeh, le vent rendait supportable les quelques 40°, dans les salles du musée, l’air était immobile et surchauffé. J’étais partagée entre la fascination de pouvoir découvrir tant de trésors archéologiques de mes propres yeux et un irrépressible désir d’aller prendre un soda bien frais…

28 ans plus tard, quand je repense à cette visite, la 1ère image qui me revient n’est pas la salle des momies royales mais curieusement celle d’une salle secondaire dédiée aux momies animales et plus particulièrement aux momies de chats.

Comme tout le monde, je savais que les chats avaient une grande importance dans l’Egypte antique mais j’ignorais alors que cela allait jusqu’à leur momification. Au delà de cette découverte, je me rappelle cette sensation de malaise face aux vitrines chargées d’un très grand nombre de ces petites momies toutes accumulées en pagaille, directement exposées aux yeux des visiteurs avec leurs bandelettes noircies par le temps, sans aucun sarcophage.

En fait, je pense que j’avais à l’époque l’image de ces célèbres momies telles Ramsès II ou Toutankhamon avec leur riche sarcophage et masque funéraire en or.
Rien de tel ici.

Mais alors, quel rôle les chats jouaient-ils en Egypte ? Pourquoi étaient-ils momifiés avec si peu de soin s’ils étaient tant adorés ?

L’Egypte, pays d’origine du chat ?

En fait, ce sont 2 questions qui se posent :

  • Le chat domestique est-il issu génétiquement de chats sauvages égyptiens
  • Où a eu lieu la 1ère domestication du chat et à quelle époque

S’il  est possible de répondre avec une quasi certitude à la 1ère question, il est nettement plus compliqué de répondre à la seconde.

Origine du chat domestique

Comme cela est indiqué sur l’arbre phylogénétique des félins que j’ai publié dans l’article du chat de Pallas, vous verrez que notre chat domestique (Felis Silvestris Catus) appartient à la lignée des Felis. En fait il est issu de la domestication d’un chat sylvestre (chat sauvage). Mais la génétique a montré qu’il ne s’agissait pas du chat forestier européen (Felis silvestris silvestris), non domesticable, mais du chat sylvestre lybica, chat ganté égyptien au caractère beaucoup plus doux.

Et pendant toute la période de l’Egypte pharaonique, le chat domestique (Félis Catus) a côtoyé ses cousins sauvages de la région. Il y avait principalement :

  • Le chat ganté égyptien (le félis lybica, ancêtre du chat domestique)
  • Le serval
  • Le chat des marais (Felis Chaus)

A quoi ressemblaient ces premiers chats domestiques ?

Pas simple de le savoir ! Car le chat des représentations dans l’art égyptien pouvaient indifféremment être sauvage (serval, chat ganté, chat des marais) ou domestiqué.

Comparaison entre le serval et la représentation d'un chat en Egypte antique
A gauche : chat coupant la tête du serpent Apophis. A droite : serval

Sur cette représentation d’un chat coupant la tête d’Apophis, il est tentant de dire qu’il s’agit en fait d’un serval avec ses longues pattes, ses grandes oreilles et son pelage tacheté !

A priori, les 1ers chats domestiques auraient plutôt une grande ressemblance avec le Felis Libyca dont il descend : pelage fauve tigré de noir, longue queue.

Chat ganté d'Afrique (Félis sylvestre lybica)
Chat ganté d’Afrique (Félis sylvestre lybica)

Certains pensent également que les chats domestiques ressemblaient à l’Abyssin actuel qui pourrait descendre des chats sacrés d’Egypte.

Chat Abyssin
Chat Abyssin

Par la suite, notre chat domestique “Felis catus” est sorti en catimini d’Egypte avec les grecs qui voulaient les ramener chez eux. A vrai dire, en tant qu’animal sacré, le chat n’avait théoriquement pas le droit de quitter le pays ! Et pourtant les grecs, à cette époque, avaient tendance à appeler les chats des belettes apprivoisées…

A partir de 300 av. J.C., ce sont les romains qui se sont découverts un véritable engouement pour le chat qui devint rapidement l’animal de compagnie favori dans tout leur empire. De là, le chat domestique a pu gagner toute l’Europe, France y comprise.

Et tant pis pour notre chat sylvestre européen au mauvais caractère qui restera donc sauvage !

Première domestication du chat

On a longtemps cru que le chat domestique provenait exclusivement d’Egypte et y était apparu autour de 2000 Av J.C.

Sauf qu’en 2004, Jean Guilaine, un archéologue français a fait mentir cette croyance en retrouvant à Chypre la sépulture d’un jeune chat située à proximité immédiate de celle d’un humain. Si les ossements du chat sont plutôt ceux d’un chat sauvage, la disposition ne laisse aucun doute sur le lien particulier existant entre l’homme et le chat : C’était entre 7500 et 7000 Av J.C. !
Pour en savoir plus sur cette découverte, je vous conseille la lecture du communiqué du CNRS publié à l’époque : un chat apprivoisé à Chypre

Aujourd’hui, avec entre autre les dernières recherches génétiques sur les origines du chat, on peut raisonnablement penser que le chat domestique est issu du croissant fertile et a donc 10 000 ans.

Pour autant, l’Egypte garde un rôle majeur dans l’histoire du chat domestique car, comme je l’ai décrit un peu plus haut, elle reste le point d’origine principal pour l’expansion du chat à travers le monde via la Grèce et l’empire romain.

Et le chat Mau Egyptien ?

Chat de race Mau Egyptien

 

Voilà un moment que je parle du chat d’Egypte et je n’ai pas encore mentionné cette race : le Mau égyptien.

Beaucoup d’éleveurs diront de lui qu’il descend directement des premiers chats domestiques égyptiens. Voilà qui est bien tentant…

La vérité, c’est qu’actuellement ni la science, ni même les faits rapportés nous permettent de confirmer cette légende.

L’histoire du Mau égyptien bien longtemps après l’antiquité, en pleine seconde guerre mondiale. A cette époque, une princesse russe passionnée de chats, était exilée en Italie dans l’ambassade égyptienne.
Et voilà qu’elle reçoit en cadeau des mains d’un petit garçon un chaton superbe au pelage inhabituel, tout moucheté de noir sur fond argenté. Il se trouve que le jeune chat était dans une boite qui provenait d’Egypte. Mais impossible de savoir si le chaton lui-même avait fait le même voyage que la boite.
Toujours est-il que la princesse décide que ce chaton exceptionnel ne peut être que le descendant direct du chat des pharaons ! Et puis surtout, elle souhaite faire reproduire ce magnifique félin pour obtenir d’autres chatons tachetés. Le chaton étant une femelle (qu’elle surnommera Lulu), elle se met en quête du matou idéal pour optimiser les chances d’obtenir une portée à la robe mouchetée aussi belle que celle de Lulu.

Et ce seront 2 matous qui auront les faveurs de la belle : Geppa et Gregorio. De ces 2 mariages naitront des bébés tachetés (spotted) soit silver comme Lulu, soit bronze.

Dans les années 50, la princesse russe part s’installer aux États-Unis et y crée officiellement le 1er élevage de Mau égyptien, la Chatterie de Fatima.

Si on ne peut affirmer que Lulu est le descendant direct des 1ers chats de l’ère pharaonique (et c’est peu probable), par contre, on peut dire que tous les maus égyptiens d’élevage ont des ancêtres de cet élevage princier !

Notons au passage que ce superbe chat est le seul à avoir d’origine une robe spotted tabby (pelage moucheté de tâches noires).

Le chat dans l’Egypte antique

Ci-dessous, quelques repères chronologiques :

Frise chronologique de l'Egypte Antique montrant le rôle de la déesse Bastet

 


A LIRE AUSSI : Remontez dans le temps pour découvrir le tout premier félin de l’histoire et les tigres à dents de sabre !


Un animal domestique très apprécié

Détail du décor mural sur la tombe de Nakht, dessin de l'égyptologue Norman de Garis Davies en 1917
Détail du décor mural sur la tombe de Nakht, dessin de l’égyptologue Norman de Garis Davies en 1917

Bien entendu, le chat était grandement apprécié pour son talent de chasseur. Comme dans toute civilisation agricole, les égyptiens ont vite compris l’intérêt de faciliter sa présence pour défendre leurs greniers à blé contre les rongeurs de toute sorte.

Au delà de cet aspect pratique, l’engouement pour le chat a vite pris de l’ampleur. Il suffit d’en regarder les représentations fréquentes dans l’art égyptien.

Et on a même retrouvé des jouets en bois en forme de chat !

 

Les chats étaient sans aucun doute un animal de compagnie fort apprécié.

Citons aussi ce que Hérodote (vers 445 av J.C.) a rapporté :

“Si, dans quelque maison, il meurt un chat de mort naturelle, quiconque l’habite se rase les sourcils seulement (…) On porte dans des maisons sacrées les chats qui viennent à mourir; et, après qu’on les a embaumés, on les enterre à Bubastis.”

Il est difficile de vérifier l’exactitude de la coutume des sourcils rasés, Hérodote ayant un peu tendance à enjoliver ses récits ! Par contre, on en sait beaucoup plus à présent sur Bubastis et les chats sacrés

Le culte de Bastet

Il a commencé dès le début de l’ère pharaonique pendant les 1ères dynasties (environ 3000 Av J.C.) pour culminer à la 22ème dynastie et a encore perduré jusqu’en 390 Ap J.C. date d’un décret impérial romain signant son interdiction. Autant dire pendant toute l’Egypte pharaonique et même davantage.

La ville de Bubastis (en égyptien Perbastet, “le domaine de Bastet”), située dans le Delta du Nil, est le lieu de culte de la déesse Bastet.

A l’origine, Bastet est plutôt représentée comme une déesse à tête de lionne, ayant des accès redoutés de colère, se confondant avec Sekhmet, la déesse de la guerre.

Puis elle s’adoucit sous les traits d’une chatte ou bien,  d’un corps de femme avec une tête de chat.
Elle devient bienveillante, protectrice de la femme et de la maternité.


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Mais la lionne qui sommeille en elle n’est jamais loin. Et c’est ainsi qu’elle protège les défunts dans l’au-delà en s’attaquant en particulier au serpent Apophis.

Si le culte de Bastet a démarré à Bubastis, il s’est rapidement étendu à toute l’Egypte et est devenu extrêmement populaire. Lors des “boubasties”, grandes fêtes annuelles de Bastet, Hérodote a décrit près de 700 000 pèlerins venant de tout le pays affluant vers Bubastis !

Bastet, véritable déesse de l’amour charnel et protectrice des défunts dans l’au-delà… On comprend facilement l’ampleur du culte qui a lui a été voué et la volonté des égyptiens de lui plaire. Pour cela, il fallait lui faire des offrandes, ou ex-votos.

C’est ainsi que se développa massivement la momification du chat.


A LIRE : Tous les secrets de la déesse Bastet en Egypte antique


Le chat sacralisé : la vérité sur sa momification

Avant tout, il faut comprendre qu’en Egypte antique, tout être vivant pouvait être le réceptacle d’un esprit divin. Les animaux n’y faisaient pas exception et pouvaient devenir sacrés. Cependant, il y avait plusieurs types de sacralisation chez l’animal :

  • Les animaux sacrés dits “uniques” comme le taureau sacré Apis qui bénéficiait de véritables funérailles. Après sa mort, on recherchait partout dans le pays le nouveau taureau, réincarnation d’Apis. Ces animaux sacrés étaient considérés comme des dieux de leur vivant.
  • Les animaux sacrés dits “multiples”Ceux-là n’avaient de valeur qu’après leur mort, une fois transformés en momie

Manque de chance pour le chat qui se trouvait dans cette 2ème catégorie des multiples !
Et compte tenu de l’engouement des égyptiens pour le culte de Bastet, il fallut fournir un nombre considérable de momies de chats. Ainsi, ils étaient transformés en ex-voto pour toute la population.


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Élevages intensifs

D’immenses élevages de milliers de chats (ailourotrophions) furent alors créés près des temples afin de pouvoir répondre à la demande. Le commerce d’ex-votos sous forme de momies devint sans aucun doute fort lucratif.

Dès le début du XXème siècle, l’étude de ces momies montra que la grande majorité des chats étaient très jeunes (en général des chatons de quelques mois ou des adultes de moins de 2 ans).
Les techniques actuelles (radiographie, scanner) permettent d’étudier un très grand nombre de ces momies tout en les préservant. Elles confirment que la plupart des chats ont été tués brutalement (coups de poings ou de pierre sur la tête, strangulation ou  torsion du cou).

Il est fort probable que les 1ères momifications étaient faites sur des chats morts naturellement. Mais à l’apogée du culte de Bastet (entre 1000 et 500 ans av J.C.) jusqu’aux années d’occupation grecque et la dynastie des Ptolémées, les momifications entrainèrent de véritables hécatombes.

Les nécropoles de chats

Toutes ces momies, probablement des dizaines de millions, étaient ensuite entreposées dans d’immenses nécropoles. A Bubastis bien sûr, mais aussi à Saqqara, Tanis, Abydos, Thèbes et beaucoup d’autres encore.

Pour aller plus loin sur le sujet, je vous conseille la lecture du mémoire sur l’Anthropozoologie du chat en Egypte ancienne : Mémoire de Colline Brassard

Il y est noté entre autre que parmi les momies étudiées, on retrouve en majorité le Félis sylvestre lybica (le fameux ancêtre du chat domestique), le serval, le Félis chaus (chat des marais) mais aussi le Félis sylvestre catus, c’est à dire le chat domestique himself.

Epilogue

Petit retour au musée du Caire en 1993, salle des momies de chats.
Je comprends bien mieux maintenant ce sentiment de malaise que j’ai ressenti. Cette incroyable quantité de momies de chats n’est pas du tout l’expression du respect envers un animal adoré et choyé. Mais elle montre tout au contraire la dérive violente et cruelle d’un culte reposant sur un commerce juteux intensif et profitant des croyances de tout un peuple. Les toutes 1ères momies de chat étaient faites avec soin après la mort naturelle de celui-ci. Mais il en était rien à l’époque où le culte de Bastet avait atteint son point culminant. Parfois, les momies n’étaient faites même qu’avec juste une patte ou autre partie du corps.

Ainsi, après des millénaires, l’Égypte antique continue à nous révéler ses secrets et garde encore sans doute bon nombre de mystères. Mais on sait à présent que les chats n’y avaient pas tous une vie de rêve. Une majorité bénéficiait de l’attention affectueuse du peuple tandis que tous ceux qui avaient le malheur de naitre dans les élevages intensifs ne connaissaient que la souffrance.

Par contre, elle a joué un rôle capital dans la domestication du chat tel qu’on le connait. Tant par le patrimoine génétique issu du Félis sylvestris lybica que par le désir d’en faire un animal de compagnie très apprécié.

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